Récemment, l’Institut économique de Montréal (IEDM) publiait une note dans laquelle on concluait que la subvention gouvernementale pour financer la voiture électrique était une mauvaise politique publique. Ayant moi-même été critique de ce programme, il m’a semblé intéressant de voir sur quelles bases les chercheurs de l’IEDM et de l’IRIS pouvaient bien se rejoindre. Spolier alert : elles sont peu nombreuses.
Rappelons que le gouvernement du Québec offre une subvention de 8 000 $ à l’achat de voitures électriques. De la sorte, le gouvernement facilitera l’ajout de 1 M de véhicules d’ici 2030. Pour l’IEDM, ces subventions pourraient donc coûter entre 350 M$ et 660 M$ annuellement à l’État québécois pour une baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’ordre de 3 %. Ce qui reviendrait à dire que chaque tonne de GES économisée coûterait autour de 288 $ (p. 2). Comparativement, sur le marché du Système de plafonnement et d’échange de droit d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE), une tonne de GES se négocie à environ 18,50 $. Ainsi, l’IEDM conclut que la subvention au véhicule électrique coûte donc beaucoup trop cher.
Pour différentes raisons, on se doit d’être prudent avec cette analyse. Tout d’abord, il est évident que les prévisions gouvernementales sont surestimées. Rappelons qu’à l’heure actuelle, les estimations des ventes de véhicules électriques prévoient qu’il se vendra autour de 10 000 véhicules électriques par année d’ici 2019. Il en faudrait au moins le double pour atteindre les objectifs de monsieur Couillard. Cela aura assurément un effet à la baisse sur le poids des finances publiques et sur l’environnement. On ne peut cependant reprocher à l’IEDM de baser ses travaux sur les prévisions du gouvernement, aussi optimistes soient-elles.
Là où je considère que l’IEDM utilise un argumentaire insidieux, c’est lorsque les auteurs tentent de mettre un prix sur chaque tonne de GES économisée en comparant celui-ci au prix sur le marché du carbone. En ces temps où la transition écologique devrait être la politique industrielle à adopter, ce type d’indicateur ne fait que générer de l’immobilisme écologique.
Tout d’abord, il est certain que les projets menés par les différents États afin de diminuer l’empreinte écologique ont comme objectif d’intégrer de nouvelles technologies ou de nouvelles habitudes qui sont généralement plus coûteuses, puisque la plupart des mesures plus rentables ou faciles à prendre ont déjà été intégrées. Ainsi, toute forme d’investissement aura un coût plus élevé par tonne de GES économisée. Ensuite, le prix du carbone sur le SPEDE est maintenu artificiellement bas. En effet, le gouvernement se garde de nombreuses réserves et les limites de pollutions pour les entreprises restent facilement atteignables. C’est la raison pour laquelle de nombreuses études considèrent que la tonne de Co2 devrait se négocier à un coût s’élevant à plus de 100 $ la tonne de GES.
La comparaison des prix par tonne avec le SPEDE est donc absurde, voire nuisible. À titre d’exemple, ce type d’indicateur rendrait le transport en commun et la construction verte peu attrayants des points de vue écologique et économique. Selon cette logique, on devrait favoriser le statu quo, ce qui, du point de vue environnemental, est inacceptable. En ce sens, il n’y a pas d’intérêt à rejeter un projet sur la base de son coût par tonne de GES économisée. Il vaut mieux simplement évaluer les résultats en m3 de GES économisés et baser ceux-ci sur les indicateurs économiques.
Pour ma part, je considère que les subventions à la voiture électrique du gouvernement ne règlent pas plusieurs problèmes majeurs. D’une part, la voiture électrique continue de participer à l’étalement urbain et à la congestion des voies routières. Son empreinte environnementale reste extrêmement élevée puisque sa production demande d’importantes ressources polluantes. De plus, les subventions sont directement envoyées à des constructeurs étrangers qui sont payés par les impôts des contribuables et servent, la plupart du temps, à financer l’achat de voitures à des personnes relativement aisées.
En ce sens, il ne s’agit pas d’arrêter la promotion de la voiture électrique, mais nous devons rester prudents et considérer ce moyen de transport comme faisant partie d’un cocktail de transport sans pour autant être le fer de lance de la politique écologique du gouvernement. Il faut donc s’interroger sur la pertinence de subventions si importantes pour ce type de véhicule.
À mon avis, le montant consenti devrait être alloué au transport en commun qui a un réel effet bénéfique pour l’environnement et qui soutient des emplois au Québec, tout en rejoignant un plus grand nombre d’utilisateurs. Position que je doute que l’IRIS et l’IEDM partagent.
Bertrand Schepper est chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), un think tank progressiste basé à Montréal.