Après un autre 14 G$ de compressions budgétaires, nous voici de retour à l’équilibre budgétaire. Bien-sûr, si vous questionnez Jim Flaherty, le ministre des Finances, il répliquera au contraire qu’il lui faut toujours résorber un déficit de 0,1% du PIB avant d’y parvenir. Mais lorsqu’un déficit est aussi petit, il vaut mieux parler d’un déficit volontaire… Tout porte à croire que des stratèges conservateurs tiennent à retenir d’une année la bonne nouvelle du déficit zéro et ainsi cueillir le fruit de la « responsabilité fiscale » en contexte préélectoral.
Le gouvernement conservateur a toutefois maintenu la même détermination à réduire la taille de l’État. Les dépenses ont été coupées certes, mais c’est au chapitre des revenus que l’on observe avec le plus d’éclat l’application des valeurs conservatrices aux finances publiques. En effet, le ratio des revenus au PIB est passé de 16% à 14% suite à la crise et il s’est maintenu à ce niveau depuis. Ce qui montre un affaiblissement des capacités fiscales de l’État. À titre comparatif, ce ratio était à près 18% à la fin des années 90.
Drôles de priorités
Les nouveaux investissements du gouvernement fédéral, relativement peu nombreux, mettent en lumière ses priorités, discutables tant au niveau social qu’environnemental. Le plus gros investissement que nous avons repéré dans ce budget vient appuyer, à hauteur de 250 M$, l’industrie automobile canadienne. La centrale nucléaire de Chalk River connaîtra également un investissement important de 114 M$ cette année. Ces deux investissements illustrent les priorités du gouvernement canadien : un moyen de transport qui n’a rien d’écologique et une énergie très dangereuse.
Dans la section du budget consacrée aux ressources, au patrimoine et aux transports, 45% des nouveaux investissements pour 2014-2015 sont destinés au secteur des transports, 38% à l’exploitation des ressources et seulement 4% à la protection du patrimoine, soit un montant de 13 M$. De ce dernier montant, 10 M$ sont consacrés à favoriser la pêche récréative et à ouvrir… des sentiers de motoneige.
Pourtant, le gouvernement investit en même temps 28 M$ sur deux ans pour obtenir « plus de certitude quant aux délais » de l’Office canadien de l’énergie pour faire approuver le projet d’oléoduc TransCanada Énergie Est. Rappelons que cet oléoduc transportera du pétrole des sables bitumineux de l’Alberta vers l’Est. On pourrait espérer d’un gouvernement qui mise autant sur l’accroissement de la distribution de pétrole qu’il fasse davantage que d’ouvrir des pistes de ski-doo comme mesure environnementale…
Dans un autre registre, il est intéressant de constater que les ponts autour de l’île de Montréal ont été si mal entretenus que leur entretien et réparation coûtera en 2014-2015, 89 M$, soit un montant supérieur à celui qui sera consacré la même année à la construction d’un nouveau pont Champlain (60 M$).
La bataille de la formation de la main d’œuvre et de l’éducation
Lors du précédent budget, le gouvernement fédéral avait déterré la hache de guerre à propos de la formation de la main d’œuvre en voulant intervenir plus directement dans l’attribution des fonds. Sans surprise, Québec avait réagit fortement, refusant de se faire dicter par Ottawa la façon de former sa main d’œuvre.
Cette année, le ton monte : le gouvernement fédéral annonce qu’à partir d’avril 2014, il versera lui-même les subventions aux entreprises désireuses d’être financées pour la formation de la main d’œuvre. Parions que cette quasi-rupture des négociations provoquera à nouveau de vives réactions.
Sur le thème plus large de l’éducation (qui, à force de lire des documents budgétaires, fini par se confondre avec « formation de la main d’œuvre »), le gouvernement fédéral poursuit l’implantation de son programme de transformation de la recherche universitaire. L’investissement le plus imposant, la création d’Apogée Canada (rien de moins), est un fonds qui investira 1,5 G$ en dix ans afin que « les institutions postsecondaires canadiennes [soient] en mesure de livrer concurrence aux meilleurs du monde pour attirer des candidats talentueux et effectuer des découvertes importantes, ce qui procurera des avantages économiques à long terme pour le Canada. ». Comme l’IRIS l’écrivait dans une note socio-économique publiée récemment à propos des priorités fédérales en éducation post-secondaire : la recherche au service de l’économie.
Les post-doctorants nous en offrent un autre exemple. Le gouvernement fédéral réserve 8 M$ à l’organisme Mitacs chargé de rapprocher la recherche post-doctorale à… devinez quoi? Eh oui, le secteur industriel. Consolation néanmoins du côté de la la recherche approuvée par les pairs à travers les fonds de recherche traditionnels (CRSH, CRSNG) ; elle se voit aussi bonifiée.
Menace pour les OBNL?
Dans le fin fond d’une section obscure (« Autres mesures visant à améliorer l’intégrité du régime fiscal, l’observation des règles fiscales et l’équité ») des documentaires budgétaires, on trouve cette annonce d’une « consultation publique sur le cadre de l’impôt sur le revenu pour les organismes à but non lucratif (OBNL), afin de s’assurer que l’exonération d’impôt visant les OBNL est bien ciblée et ne fait pas l’objet d’abus par des organismes qui demandent l’exonération mais ne fonctionnent pas de la manière attendue, et de veiller à ce que les exigences de production de déclarations s’appliquant aux OBNL légitimes permettent au public et à l’ARC d’obtenir des renseignements suffisants aux fins de l’évaluation de leurs activités. » (p. 308)
Les gens du ministère sont demeurés évasifs sur le fond de ces propositions. Pourrait-elle se traduire par la fin de l’exonération fiscale des OBNL? Par des mesures sélectives à leur endroit? Plus de reddition de comptes? Est-ce que la « transparence » qu’on invoque est la même que celle qu’on se propose d’exiger aux organisations syndicales?
Investissements dans les réserves
Les bonnes nouvelles comprises dans le budget fédéral de cette année sont du côté des autochtones. Peu mis de l’avant dans les communiqués gouvernementaux (parce que susceptible de déplaire à l’électorat conservateur?), les mesures visant à améliorer les systèmes d’éducation sont pour le moins intéressantes. Elles comprennent « l’octroi d’un financement de base de 1,25 milliard de dollars de 2016-2017 à 2018-2019 à l’appui de la loi donnant aux Premières Nations le contrôle de l’éducation des Premières Nations » (p. 87). Notons également de nouvelles annonces pour lutter contre la violence faite aux femmes autochtones.
This article was written by Simon Tremblay-Pepin, a researcher with IRIS—a Montreal-based progressive think tank.