C’est sans grande surprise que le gouvernement Trudeau approuvait dernièrement les projets de pipelines Trans Mountain (Kinder Morgan) et la Canalisation 3 (Enbridge). Pour plusieurs, c’est le rejet du projet de Northern Gateway, évalué à 8 milliards de dollars, qui a suscité l’étonnement.
À mes yeux, ce résultat était assez prévisible. En effet, bien que les trois oléoducs bénéficiaient d’avis positifs de la part de l’Office national de l’énergie (ONE), le projet de Northern Gateway d’Enbridge était extrêmement controversé, au point d’avoir été critiqué par la cour fédérale. Avec cette décision, le gouvernement Trudeau essaie de ménager la chèvre et le chou, en disant qu’il reste écologique tout en stimulant l’économie.
Pour le moment, rien n’assure que les projets approuvés par le gouvernement fédéral verront le jour. Effectivement, plusieurs intervenants importants, dont les Premières Nations, la ville de Vancouver et même certain·e·s député·e·s du caucus libéral ont exprimé de multiples réticences à l’égard des deux projets approuvés.
Au Québec, par contre, la décision aura des répercussions à moyen et à long terme sur les politiques industrielles. Bien évidemment, d’un point de vue environnemental, ces choix sont un non-sens. Économiquement, rien n’indique que l’exportation du pétrole sera une réussite, puisque le coût d’exploitation des sables bitumineux demeure supérieur au prix de vente du baril de pétrole sur les marchés. Ceci dit, si l’on passe outre cette question, le secteur industriel subira les effets de cette décision sur la hausse de l’exploitation pétrolière canadienne liée à l’exportation.
En effet, si l’on se fie à l’excellente étude de David Hughes intitulé Can Canada Expand Oil and Gas Production, Build Pipelines and Keep Its Climate Change Commitments? publiée en juin dernier, les prévisions de pollution de l’industrie pétrolière au Canada devraient atteindre l’équivalent de 58 % des GES que le Canada pourra générer en 2030. Comme le montre le graphique suivant (tiré de la p. 18 de l’étude), ce sera aux autres industries canadiennes de s’adapter.
Graphique 1 : Évolution des émissions canadiennes de GES par secteur de 1990 à 2014 et prévisions concernant le secteur pétrolier jusqu’en 2030
Sources : ENVIRONNEMENT CANADA; ONE; David HUGHES, A Clear Look at BC LNG: Energy security, environmental implications and economic potential, Centre canadien de politiques alternatives, Vancouver, 2015; Accord de Paris.
Selon l’accord de Paris, les émissions doivent passer sous la barre des 30 % des émissions en 2005 d’ici 2030. Pour le Canada, cela signifie à peine plus de 500 mégatonnes d’équivalent CO2. Toutefois, d’après les prévisions de Hughes, les émissions des industries pétrolière et gazière atteindront 300 mégatonnes en 2030, soit 58 % de la cible établie par l’accord de Paris. Si les émissions de ce secteur croissent autant, celles des autres secteurs devront nécessairement diminuer.
Plus spécifiquement, on peut s’attendre à ce qu’à l’échelle du pays les industries liées au transport, à l’agriculture, à l’électricité et à la transformation lourde soient forcées de réduire leurs émissions de GES. Au Québec, cela signifie évidemment de diminuer les GES liés au transport, mais aussi de changer radicalement les secteurs présentement au cœur de la pollution industrielle : la transformation de l’aluminium, l’industrie minière et les cimenteries.
Les différents secteurs de la transformation lourde n’auraient que deux options. Ils pourraient diminuer de manière draconienne leurs émissions de GES pour pallier la hausse dans le secteur pétrolier. Ce choix serait surprenant puisque, globalement, les plus grands pollueurs québécois ont plutôt augmenté leurs émissions de 105 % en 2015 par rapport à 2014.
L’autre possibilité serait d’investir dans des crédits compensatoires, puisqu’ils seraient incapables d’atteindre les cibles canadiennes. Leur compétitivité à l’international serait alors affectée. On s’en doute : les prévisions suggèrent que le prix des crédits carbone augmentera à mesure que les limites de l’accords de Paris seront restrictifs.
Bref, dans tous les cas, les industries manufacturières québécoises et ontariennes devront transformer radicalement leurs pratiques pour faire place au développement des sables bitumineux (l’un des pétroles, rappelons-le, les plus polluants et les plus dispendieux au monde).
Soyons clair, je crois que le Québec devra trouver le moyen de diminuer les émissions de ses grands pollueurs; peut-être faudra-t-il même songer à leur imposer une baisse de régime. Par contre, pour l’instant, la décision récente de monsieur Trudeau fait en sorte que c’est l’industrie polluante albertaine des sables bitumineux qui les forcera à changer plutôt qu’une réelle volonté d’adopter des pratiques plus écologiques. À mon avis, ce sont à la fois le Québec et l’environnement qui s’en retrouvent perdants.
Ce billet est rédigé par Bertrand Schepper, chercheur à l'IRIS, un think tank progressiste basé à Montréal.