Le monde scolaire québécois est parcouru par une séparation nette entre le réseau public et les écoles privées. Après l’application des mesures d’austérité par le gouvernement Couillard, il appert que les écoles privées ressortent de ces dernières années de coupes avec un positionnement qui les avantage encore plus qu’avant comparativement aux écoles publiques. Dans une note publiée dernièrement, j’ai réalisé une analyse comparative des revenus des écoles privées et publiques, et les résultats sont limpides : les écoles privées ont traversé beaucoup plus facilement cette période difficile.
Tout d’abord, en faisant le portrait des transferts gouvernementaux des quinze dernières années, on s’aperçoit que les écoles privées étaient mieux préparées pour affronter les années d’austérité. De 2001-2002 à 2015-2016, ces transferts avaient augmenté de 18 % au privé contre 11 % au public. Cet avantage marqué pour le privé est encore plus important lorsqu’on prend en compte leurs revenus totaux, qui ont grimpé de plus de 40 %. Ces chiffres portent à croire que les établissements d’enseignement privés avaient les reins plus solides et étaient davantage prêts à supporter les compressions.
Ensuite, des sources de revenus plus diversifiées ont permis aux écoles privées de mieux s’adapter aux aléas du financement gouvernemental. Alors que les commissions scolaires sont dépendantes à plus de 75 % des transferts gouvernementaux du ministère de l’Éducation, les écoles privées, elles, peuvent compter sur un plus large éventail de sources de revenus. Par exemple, les « contributions des élèves » (droits de scolarité) représentent 29 % de leurs revenus; leurs « revenus généraux », 16 % et les « dons », 5 %. Cette diversification les prémunit contre les courses au déficit zéro et autres objectifs de compressions imposés par Québec.
Pour bien comprendre la différence entre l’exposition des écoles privées et des commissions scolaires aux compressions, il est intéressant de relever que, en 15 ans, les années de coupures n’ont pas eu les mêmes conséquences dans chaque secteur. Du côté du privé, à trois occasions leurs subventions en provenance de Québec ont baissé. Cependant, à chaque fois, la diversification de leurs revenus a fait en sorte que leurs revenus totaux ont tout de même augmenté.
À l’opposé, les quatre années durant lesquelles le financement public des commissions scolaires a chuté ont résulté en un recul de leurs revenus totaux. En clair, le privé peut compenser les coupes tandis que le public n’a pas cette marge de manœuvre. Le bilan de l’austérité aura donc été d’accroître les écarts de financement à l’avantage du privé.
Il est également important de mentionner que la population fréquentant les écoles publiques ne ressemble en rien à la « clientèle » du privé. Les écoles privées ont la possibilité de procéder à un écrémage de leurs élèves en ne sélectionnant que les « meilleurs éléments ». Ceux-ci nécessitent beaucoup moins de suivi que les élèves avec des troubles d’apprentissage ou provenant de milieux plus défavorisés.
De plus, de 2001-2002 à 2012-2013, le taux d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) est passé de 12 % à 22 % dans le réseau public alors qu’il se situe à moins de 5 % dans les écoles privées. Pour la même période, la formation professionnelle dans le secteur public a également augmenté de 25 % et la formation des adultes de 13 %. La responsabilité éducative qui incombe aux écoles publiques est nettement plus complexe et exige conséquemment des ressources supplémentaires.
Une tendance se démarque clairement : autant pour les centres de la petite enfance (CPE) et les CLSC que les commissions scolaires, le gouvernement libéral laisse tous ses réseaux publics se détériorer au profit de l’essor d’établissements privés, qui opèrent selon leurs propres objectifs et suivant leurs propres intérêts. Cette orientation n’a rien de rassurant pour l’avenir.
Ce texte a été rédigé par Philippe Hurteau, chercheur à l'IRIS, un think tank progressiste basé à Montréal.