On apprenait récemment que les trois paliers de gouvernement allaient investir 98,5 millions de dollars afin d’assurer la tenue du Grand Prix de Montréal entre 2025 et 2029. Il s’agit d’une moyenne de 19,7 M$ annuellement pendant 5 ans, soit une hausse de 5 % par rapport au 18,7 M$ que le public donne actuellement à la F1 afin de retenir le Grand Prix. Ce qui veut dire qu’entre 2009 et 2029 les contribuables auront payé près de 400 M$ en subventions pour soutenir un sport en perte de vitesse.
Pour soutenir cette position, nos élu·e·s s’appuient sur deux grandes affirmations, la première est que le Grand Prix de Montréal génère d’importantes retombées économiques et la seconde, que l’événement fait rayonner la métropole à l’international. Qu’en est-il?
« La F1 rapporte de l’argent... »
En 2010, le ministère des Finances du Québec prévoyait que les retombées fiscales du Grand Prix de Montréal seraient de 18 M$. Selon une récente étude plus conservatrice menée par Ad Hoc recherche et présentée aux organisateurs de l’événement, l’ensemble des dépenses liées au Grand Prix de 2015 aurait permis le maintien de l’équivalent de 640 emplois qui auraient généré en taxes et impôts des revenus pour le Québec et le Canada de 8,1 M$ (p.16), soit moins de la moitié des subventions octroyées. Bien sûr, nous devons rester prudent avec ce type d’étude, car il est complexe, voire impossible, de déterminer les réelles dépenses des touristes ou de vérifier quel serait le taux d’occupation des chambres d’hôtel à Montréal si le Grand Prix était annulé ou remplacé par un autre événement. Cependant, les publications sur le sujet tendent à démontrer que les retombées économiques des événements sportifs sont historiquement surévaluées.
Dans le cas qui nous occupe, il est évident que sur la stricte question fiscale, les différents paliers gouvernementaux s’en sortent au mieux avec un coût à peu près nul et au pire avec une perte qui se situe entre 10,6 M$ et 11,6 M$ annuellement.
Le faible retour fiscal s’explique par un facteur : les emplois créés par la F1 sont généralement mauvais. Outre quelques emplois de gestionnaire, ou dans le milieu de la construction, les emplois créés par l’événement sont principalement dans le domaine de la restauration, de l’animation de foule et de l’hôtellerie, et sont généralement faiblement rémunérés.
Considérant que la construction d’une école est évaluée à 7,8 M$, il y a certainement mieux à faire avec l’argent des contribuables. Non seulement, l’apport social serait plus grand, mais l’ apport économique serait également plus important.
Cela ne veut évidemment pas dire que l’événement ne peut pas être rentable du point de vue du promoteur, mais cela pose certainement la question suivante : que vient donc faire l’État là-dedans? Plusieurs vous répondront que le montant investi reste de faible importance considérant la visibilité dont jouit la métropole de l’événement.
De quelle visibilité parle-t-on?
Le glamour de la F1 a pâli de manière importante dans les dernières années. Outre les baisses d’auditoire constantes (p.15), il devient de plus en plus clair que le sport subit encore les contrecoups de la gestion de son ancien et controversé président Bernie Eccleston. Sympathique personnage qui, en plus d’être accusé de corruption, a déjà traité Montréal de « trou à rat ». Bonjour la belle image.
Bien évidemment, le Grand Prix de Montréal est un gros spectacle : plusieurs vedettes viennent se pavaner dans les soirées mondaines entourant l’événement, et ce au grand plaisir des médias. Cependant, il existe une toute une autre réalité, loin des tapis rouges, qui contribue elle aussi à la réputation de la ville. En effet, la métropole commence à trainer la réputation de plaque tournante du tourisme sexuel nord-américain qui exploite nombre de personnes au profit d’une économie clandestine, et ce, particulièrement pendant la fin de semaine du Grand Prix. C’est à se demander : qui profite vraiment de l’événement? Cette question a poussé le maire Coderre à commanditer une étude sur la question.
Du point de vue environnemental, le Grand Prix est certainement une horreur. En un week-end, toute l’organisation entourant l’événement devrait produire approximativement 10 000 tonnes de CO2 soit l’équivalent de 2500 voitures sur la route pendant un an. Alors que le gouvernement du Québec tente désespérément de faire figure d’exemple vert, ce type de projet apparaît totalement absurde.
Bref, l’image que Montréal projette à travers le Grand Prix est loin d’être aussi intéressante qu’on le prétend et la rentabilité pour les contribuables n’est pas au rendez-vous. Dans ces conditions, il me semble naturel de questionner la validité de tenir ce type d’événement au Québec, surtout si le privé semble incapable d’en assumer seul le financement.
Bertrand Schepper est chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), un think tank progressiste basé à Montréal.