Vous avez bien lu. Des médecins québécois ont obtenu une augmentation de leur rémunération moyenne de 88 000$ pour la seule année 2015-2016. Ce sont les cardiologues cette fois-ci qui ont remporté le gros lot alors que leur rémunération est passée de 463 000$ à 552 000$ (nets des frais de cabinet). Ils ont ainsi devancé de peu les urgentologues qui ont vu s’accroître leur revenu de 72 688$. Aussi surréelle que cette situation puisse paraître, le gouvernement québécois verse désormais ce type de montant d’argent en augmentation alors que d’une majorité de Québécois·es n’obtiendra jamais de telles sommes… en salaire.
C’est un journaliste du portail Profession Santé, Denis Méthot, qui a pris la peine plus tôt ce mois-ci de compiler les hausses de rémunérations médicales par spécialités à partir des données rendues publiques par la RAMQ lors des séances d’étude des crédits à l’Assemblée nationale. Les chiffres sont si percutants qu’il m’a semblé important d’y revenir.
Méthot a calculé que l’ensemble des médecins spécialistes avaient obtenus en 2015-2016 des augmentations moyennes supérieures à 20 000$ (+ 4,5%).
20 000$, de plus, en moyenne…
En ce qui attrait aux médecins omnipraticiens, l’augmentation dépasse « à peine » 7 000$ (+ 3%).
Ces données montrent qu’on trouve maintenant aux échelons des médecins spécialistes les mieux rémunérées : (1) les 61 chirurgiens cardio-vasculaires et thoraciques (623 947$), (2) les 291 ophtalmologues (585 917$), (3) les 542 radiologistes (562 916$), (4) les 414 cardiologues (551 676$) et (5) les 647 anesthésistes (489 519$).
Par ailleurs, ces montants sont des revenus « nets » puisque la RAMQ déduit désormais du revenu brut des médecins une estimation des frais de cabinet. La rémunération brute des radiologistes, par exemple, est de près de 700 000$ et celle de l’ensemble des spécialités chirurgicales de 520 000$.
On ne doit pas écarter trop vite ces données brutes puisque la RAMQ émet une mise en garde contre l’utilisation des revenus moyens nets étant donné que les estimations des frais de cabinet sont « historiques et n’ont pas fait l’objet de révision récente ». Il est par conséquent « recommandé d’analyser les revenus moyens nets avec prudence ». En somme, les revenus nets, pourtant astronomiques, pourraient aisément être en plus sous-évalués…
En retournant fouiller à mon tour dans les documents de l’étude de crédit, j’ai trouvé quelques autres chiffres dignes d’intérêt dont ce graphique produit par la RAMQ (en réponse à la question no. 473 de l’opposition officielle) et qui montre que les sommes versées par le biais de la rémunération à l’acte en 2015-2016 continuent de connaître une progression fulgurante (+11,6%), soit environ d’un demi-milliard. La rémunération totale par salaire a faiblement augmenté (une dizaine de millions) mais s’avère en baisse légère (-1%) par rapport à 2013-2014. Malgré les critiques dont elle fait l’objet, la rémunération à l’acte a donc toujours le vent dans le voile au Québec.
Plus bas, en réponse à la même questions, on constate que le nombre de « services rendus » par les médecins spécialistes a… diminué (-2,1%). Il s’agit d’une tendance qui était déjà observée et que nous mentionnions dans une note socioéconomique publiée en juin 2016. Certains médecins évoquent de simples transformations du codage des actes par le biais de regroupements par exemple, mais cette explication est loin d’être convaincante puisque d’autres observent au contraire la fragmentation d’autres actes. Chose certaine, ce tableau ne donne guère l’impression que les augmentations offertes aux médecins se traduisent au moins par davantage de besogne pour la population.
D’ailleurs, les questions 471 et 472 de l’étude des crédits nous enseignent que la rémunération totale des médecins omnipraticiens dépasse maintenant les 2,5G$ et que celle des médecins spécialistes dépasse les 4,6G$. Ensemble, la dépense s’élève à 7,1G$.
Il est utile – terrifiant ? – de comparer cette dépense médicale avec les budgets des autres ministères du gouvernement québécois. Ce faisant, on s’aperçoit que l’on verse collectivement aux quelques 20 000 médecins un montant équivalent à ce que l’on a donné en 2015-2016, tout ensemble, au : ministère de la Sécurité publique (1373M$), ministère de la Justice (901M$), ministère de l’Agriculture, des pêcheries et de l’alimentation (899M$), ministère des Transports (685M$), ministère de la Culture et des communications (673M$), au ministère de l’Économie, de l’innovation et des exportations (591M$), à l’ensemble des organismes communautaires (585M$, financés par le MSSS), au ministère de la Forêts, de la faune et des parcs (475M$), au ministère du Développement durable, de l’environnement et de la Lutte aux changements climatiques (184M$), au ministère de l’Immigration, de la diversité et de l’inclusion (168M$), au ministère des Relations internationales et de la Francophonie (140M$), au ministère du Tourisme (124M$), le ministère de l’Énergie et des ressources naturelles (79M$) ainsi qu’au fonctionnement de l’Assemblée nationale (123M$) et de l’ensemble de ses « personnes désignées » (100M$), soit le Vérificateur général, du Protecteur du citoyen, du Directeur général des élections, du Commissaire au Lobbyisme et du Commissaire à l’éthique et à la déontologie…
Rappelons que ces augmentations engagées et reconfirmées pratiquement chaque année par les gouvernements depuis l’entente de 2007 entre le ministre-docteur Philippe Couillard et le futur ministre-docteur Gaétan Barrette font peser un fardeau aussi lourd que malaisant sur les dépenses de santé alors qu’on a constamment joué de la tronçonneuse dans pratiquement tous les autres postes de ce ministère.
Lors du dernier budget, le gouvernement avait cherché en vain à cacher la poursuite de ces hausses mais s’était fait pincer par Amélie Daoust-Boisvert du Devoir qui s’était aperçue qu’en vertu des offres actuelles, les médecins toucheront vraisemblablement des augmentations de 20% sur cinq ans (2016-2017 à 2021-2022).
La situation actuelle des médecins québécois comporte deux anomalies, soit leur statut de travailleur autonome et leur rémunération stratosphérique. Le premier est un obstacle au bon fonctionnement du système sociosanitaire et le deuxième accapare des ressources financières qui pourraient aller à d’autres secteurs ou à d’autres travailleuses et travailleurs en santé ou ailleurs. Le gouvernement ne pourra demeurer encore longtemps inactif sur ces deux aberrations.
Guillaume Hébert est chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), un think tank progressiste basé à Montréal.