Québec nage dans les surplus. Le bilan de la dernière année financière nous apprend que pour l’exercice qui s’est terminé au 31 mars, c’est 4,5 G$ en surplus qui se retrouvent dans les coffres du gouvernement. Gérald Fillion, dans un texte publié la semaine dernière, résume bien comment nous en sommes arrivés là : un soupçon de coupes budgétaires, un brin de diminution des taux d’intérêt, une larme d’embellie au niveau économique, et l’ajout bien mesuré de quelques autres ingrédients...
Cette situation budgétaire hors du commun amène à réfléchir à la suite des choses. Et maintenant, on fait quoi? Des baisses d’impôt? Le gouvernement semble heureusement indiquer qu’il a déjà fait sa part de ce côté. Alors, que faire? À un an des élections, il est certain que l’équipe de Philippe Couillard voudra utiliser un tel pactole pour redorer son blason auprès d’une population échaudée par la diminution des services qui lui sont offerts.
Sans dresser une liste précise des lieux où le gouvernement pourrait investir, voici une proposition simple que devrait prendre au sérieux le premier ministre : pourquoi ne pas transformer en CPE l’ensemble des places en service de garde privé?
On le sait, depuis dix ans, ce sont les garderies privées qui ont le haut du pavé, et ce, bien qu’elles offrent souvent des services de bien piètre qualité. Une manière de régler ce problème serait donc de les convertir en CPE. Voyons-y de plus près.
Au 31 mars de cette année, les CPE comptaient près de 94 000 places, contre 91 000 pour les garderies en milieu familial. Les places en garderies privées subventionnées s’établissaient quant à elles à 46 000 contre 61 000 pour celles offertes par le privé non subventionné. Au total, le Québec comptait donc 293 000 places en garderie.
Selon les données présentées dans le budget des dépenses 2016-2017 (p. 116), les subventions versées aux CPE ont totalisé 1 067 M$. Celles aux garderies en milieu familial se sont élevées à 625 M$ et celles dédiées aux garderies privées subventionnées ont atteint 443 M$. Avec ces données, on peut donc fournir une évaluation sommaire du coût lié à la transformation des garderies privées (subventionnées ou non) en CPE.
En moyenne, une place en CPE coûte en subvention 11 359 $ au gouvernement et une place en garderie privée subventionnée coûte 9 527 $. Convertir 46 000 places de ces dernières en CPE équivaudrait donc à une dépense de 84 M$. En ce qui concerne les garderies privées non subventionnées, on peut postuler que leur transfert en CPE aurait comme conséquence une hausse nécessaire des subventions versées par Québec à ce réseau équivalente à 693 M$.
Mettre fin à la présence du secteur privé à but lucratif dans le domaine de l’éducation à la petite enfance pourrait donc se réaliser pour un montant avoisinant les 777 M$. Pas même 1 G$ et encore moins les 4,5 G$ dégagés en surplus cette année par Québec! Notons aussi que la transformation en CPE de toutes les garderies privées aurait comme conséquence de faire diminuer grandement le montant de 639 M$ associé au Crédit d’impôt remboursable pour frais de garde d’enfants (p.7), puisque les parents qui envoient leurs enfants en CPE n’y ont pas droit. Il faudrait donc être résolument de mauvaise foi pour arguer le coût prohibitif d’une telle mesure pour s’opposer à sa réalisation.
Voilà ce que pourrait être une utilisation pertinente des surplus : la mise en place d’une politique de bien commun qui vise le plein développement d’un réseau de garderies sous contrôle démocratique des parents et des professionnelles y travaillant et qui, ce n’est pas un hasard, offre à chaque enfant du Québec un cadre optimal à son épanouissement.
Qu’est-ce qui empêche le gouvernement de le faire? Et une fois lancé, qu’est-ce qui l’empêcherait d’utiliser le reste des surplus pour améliorer les autres services à la population? Depuis 2014, le premier ministre Couillard et son ministre des Finances semblent avoir oublié un élément essentiel de leurs fonctions respectives. Le but d’une saine gestion des finances publiques n’est pas de dégager des surplus. Un État ne se gère pas comme une entreprise et il ne rime à rien de vouloir afficher des profits en fin d’exercice. L’objectif, c’est de financer des services. Il est peut-être temps que l’on s’en souvienne.
Philippe Hurteau est chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), un think tank progressiste basé à Montréal.